Le droit au bonheur

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Une aventure trépidante

Fin mars début avril, j’ai passé 2 semaines dans une ferme au-dessus de Cooktown. L’endroit me semblait exceptionnel. Ils y faisaient pousser toutes sortes de végétaux allant de l’avocat à l’aubergine, de la papaye au fruit de la passion, du fruit du dragon à la noix de coco. Pour quelqu’un qui n’aime pas la routine des fermes, celle-ci vendait du rêve. Le 25 mars, Robin et moi prenons la route. Étant à Mackay dans une ferme d’ananas à ce moment-là, nous avions 12 heures de voiture. Mais l’appel à vivre une expérience folle dans une ferme de rêve était trop puissant. 

The dream place

En arrivant là-bas, on rencontre le patron. Il nous emmène jusqu’au logement qui s’avère être magnifique (enfin, magnifique point de vue de backpacker). Une taule se tenait au-dessus de nos têtes en guise de toit afin de couvrir la cuisine et la pièce de vie qui étaient totalement ouvertes sur l’extérieur. Deux chambres, qui avaient été aménagées dans des conteneurs, se dressaient de chaque côté dudit « salon ». La modeste demeure se tenait en plein milieu d’une forêt luxuriante. Bien que la propreté ne soit encore pas au rendez-vous, que d’énormes araignées vivaient au-dessus de nos têtes et que le logement prenait l’eau à chaque averse (et Dieu sait qu’il y en avait à ce moment-là), l’endroit et l’expérience étaient exaltants. 

Le soir, nous avons rencontré les personnes que nous allions remplacer. Ils nous ont parlé des fonctionnements de la ferme, du caractère des patrons, de leur expérience ici. Plus ils nous racontaient, plus je me disais que ça allait être génial. Les patrons avaient des connaissances pointues et secrètes sur chaque végétal qu’ils font pousser (j’ai tout de suite pensé aux articles que j’allais écrire dessus). Le travail était différent chaque jour. Le lieu était magnifique. Nous avions hâte de commencer le lendemain (pas très habituel pour un travail en ferme).

The dream job

La première semaine, tout s’est passé comme promis. En 5 jours, nous avons cueilli des avocats, des citrons verts, des citrons jaunes, des papayes, des fruits du dragon, des citrouilles, planter des tomates, emballer tous les fruits et légumes en carton. Bref, chaque jour, j’apprenais une nouvelle chose, ce qui me comblait de bonheur. 

L'erreur fatale

La semaine d’après, alors que je devais mettre du fertilisant sur des aubergines, la femme du patron s’est égosillée en voyant mon travail. J’en avais bien trop mis, ce qui risquait d’entrainer la mort des plantes. J’ai alors essayé d’en enlever le plus possible, mais en vain. Elle me dit que ça devrait aller dans un sourire compréhensif me rassurant aussitôt.

Sur le chemin du retour, après le lunch, je me suis dit que j’étais la plus heureuse du monde, que j’aimais ma vie, que j’aimais ce que j’avais créé. Je me revois, les cheveux au vent, ma main fouettant l’air par la fenêtre de la voiture, mon regard perdu dans ce paysage pittoresque, vivant pleinement ce bonheur qui me traversait d’une façon étonnamment puissante.

En arrivant à la ferme, nous avons croisé le patron en voiture qui nous a fait signe de nous arrêter. Il a abaissé sa fenêtre et a soudainement déversé un torrent de haine sur moi, non sans omettre le fait que j’étais virée. Nous avons dû partir dans l’heure qui a suivi, sans avoir de plan ni d’endroit où aller. 

Ce jour-là est sûrement le jour le plus honteux de ma vie. En plus d’avoir perdu un super job au bout d’une semaine et demie, j’ai fait perdre à Robin son travail. Tous nos plans sont tombés à l’eau en une fraction de seconde. La route jusqu’à Cooktown (longue et laborieuse à cause des dégâts causés par la wet season) s’est déroulée dans un silence morbide. Si j’avais pu, j’aurais disparu de la surface de la Terre.

Un raccourcis mental

Pourquoi raconte-t-elle cette histoire datant d’il y a déjà trois mois, allez-vous me dire ? Eh bien, je me suis rendu compte que cette mésaventure m’a créé une petite peur. Je pense que mon cerveau a assimilé ce violent licenciement au fait que je m’étais dit, seulement une minute avant, que j’étais heureuse. Comme si, étant donné que je me disais nageant dans un profond bonheur, on avait voulu me punir et détruire ce dernier à coup de hache. 

L’autre jour, alors que j’étais assise à mon spot préféré à Green Hill Fort, Thursday Island, je me suis dit que j’étais heureuse. Tout d’un coup, une petite voix dans ma tête a commencé à paniquer en se disant que si je m’avouais heureuse, je serais virée d’aussitôt du job que je venais de décrocher une semaine auparavant. Comme si, si j’osais assumer pleinement mon bonheur, il devra m’être automatiquement retiré.

Je me suis vite rendu compte que cette pensée/peur était totalement idiote. J’ai alors pris du recul par rapport à cet évènement à la ferme et je me suis demandée « qu’est-ce que ça m’a apporté ? ». Ça m’a apporté la liberté de voyager seule de nouveau. Ça m’a apporté de nouvelles rencontres incroyables que je n’aurais pas faites si j’étais restée plusieurs semaines avec la même personne, au beau milieu de nulle part. Ça m’a ouvert les yeux sur le fait que je n’étais pas heureuse et épanouie dans le voyage en couple. Ça m’a permis d’accueillir de nouvelles opportunités comme celle de Thursday Island. En résumé, j’en tire que du positif. Je pense juste que la vie m’a donné un petit coup de pouce (bien qu’un peu violent) pour me sortir d’une situation qui ne me convenait pas inconsciemment.

Un bonheur illusionné

Le bonheur n’est pas un concept limité. Ce n’est pas quelque chose qui expire lorsque le bon Dieu décide que l’on en a trop eu. C’est, selon moi, quelque chose que l’on crée, que l’on s’accorde, que l’on s’offre. Même s’il n’est pas constant ni linéaire, je pense que l’on se donne le droit d’être heureux comme l’on s’inflige le fait d’être malheureux.  

J’ai alors compris que les situations comme celle que j’ai vécu ne sont pas là pour détruire notre paix intérieure, mais pour l’amplifier d’autant plus en nous sortant d’une zone d’inconfort inconsciente. Alors certes, il est difficile de voir le positif de certains évènements lorsqu’on se noie dedans, mais prendre du recul sur ces derniers une fois terminés peut mener à des prises de conscience inattendues. 

Lorsque j’étais dans la ferme, je suis tombée dans l’illusion d’un bonheur factuel. J’étais amoureuse, je gagnais de l’argent en faisant un travail intéressant, j’étais dans un lieu magnifique, j’avais des projets de folie en tête. Sur le papier, j’étais heureuse. Aux yeux de la société, j’étais heureuse. L’image que j’avais du bonheur me disait que j’étais heureuse. Et pourtant, en perdant tout ça, j’ai reconnecté avec un bonheur profondément lié à mon élan de vie. Un bonheur réel, puissant et inconditionnel.

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