Un témoignage poignant
Sharon m’a raconté une histoire passionnante concernant une manifestation à laquelle elle a participé avec toute la ville de Cobar pour se faire entendre par le parlement australien.
Comme vous le savez sûrement, l’Australie est une colonie britannique. Elle a donc le même système politique que l’Angleterre avec un parlement divisé en deux chambres (la Chambre des Lords qui représente la noblesse et le clergé et la Chambre des Communes qui représente le peuple), un gouvernement, un Premier Ministre et le roi. Chaque colonie a son propre parlement à la capitale afin de débattre et converser sur les problèmes propres au pays en question.
Sharon m’explique alors qu’en 1993, The CSA Mine a été rachetée par la grosse entreprise Ashanti. Cette dernière a fermé les portes de la mine peu de temps après l’avoir achetée en prétextant qu’ils n’avaient plus assez de fonds pour la faire tourner. Des dizaines d’hommes se sont retrouvés au chômage après avoir offert de longues années de loyauté à la mine, dont Bryce. Dès lors, l’entreprise leur devait énormément d’argent afin de régler les vacances, les congés payés, les primes… Vous vous doutez bien qu’elle a refusé en disant ne pas être en mesure de les payer.
Plusieurs centaines d’habitants de cette petite ville du New South Wales montèrent alors dans leur voiture et prirent ensemble la route en direction de Canberra. Mineurs, banquiers, caissiers, serveurs, vendeurs se serrèrent les coudes durant ces 7 heures de voyage en écoutant de la musique, chantant et klaxonnant tout le long de la route pour attirer toute attention à eux et faire parler les journaux. Arrivés à la capitale, ils campèrent durant deux jours et deux nuits sur la pelouse du parlement australien. Jason, le mari de la sœur de Sharon, avait même emporté ses instruments et jouait avec son groupe pour faire passer ce temps interminable. D’autres attendaient patiemment en jouant aux cartes ou en discutant autour d’une bière.
Puis, il y eut une audience au Parlement à laquelle tout le monde a eu le droit d’assister à la condition qu’aucun d’eux ne prenne la parole au risque de se faire sortir de la salle. L’audience n’était bien évidemment pas dédiée à la ville de Cobar spécifiquement, mais aux problèmes du pays en général. Sharon m’a alors révélé que son père, mort il y a quelques mois maintenant, s’est battu toute sa vie pour faire entendre la voix des gens pauvres et sans protection. Ainsi, lorsqu’au bout de longues heures vaines à attendre que les députés parlent enfin de la ville de Cobar, il s’est levé et s’est exclamé « Qu’est-ce qu’il en est de la ville de Cobar, putain ? ». Comme prévenu, tout le joli monde de l’outback australien fut immédiatement renvoyé à l’extérieur.
Vous vous demandez ce qui est arrivé par la suite ? Et bien, mesdames et messieurs, j’ai la joie de vous annoncer que leur périple n’a pas été vain et ils ont gagné contre cette horrible entreprise malhonnête. Enfin, pas totalement, car il n’a été versé que 85 % de leur dû aux mineurs licenciés. Mais c’est déjà mieux que rien. De plus, ça fait une anecdote incroyable à raconter. J’ai perçu ce sentiment d’unicité qu’ils ont pu ressentir à ce moment-là dans les yeux de Sharon. Que ça les concerne ou pas, ils se sont tous ligués contre des gens qui voulaient se faire de l’argent sur une petite ville minière du bush australien. Le plus beau est qu’ils ont réussi à se faire entendre. On pourrait presque en faire un film hollywoodien, vous ne trouvez pas ?
Malgré tout, la mine est restée fermer durant des années. Elle a été mise en état d’entretien et de maintenance le 20 janvier 1998. La compagnie Glencore l’a ensuite racheté et le site a redémarré les opérations minières en juillet 1999. Bryce m’a alors raconté que plutôt recevoir l’indemnité de chômage comme l’ont fait la plupart des mineurs licenciés pendant que la mine était fermé, il est allé tondre les moutons dans les propriétés autour de Cobar. Au moins il y avait du travail !
Un article de journal de l'époque
Sharon a retrouvé un vieil article parlant de cette bataille gagnée qui a été retranscrit sur internet. À savoir : Peter Fisher est le père de Sharon.
Voici la traduction :
Ils se sont tous réunis hier soir. Entre les rangées de mâts, devant les murs incurvés et surréalistes du Parlement, sous un ciel de minuit sans lune […].
Ce fut un moment magique et tragique. Sous les sourires et les corps qui se balançaient, il y avait un air de détermination sinistre. Et en dessous, un sentiment d’impuissance.
« Nous avons eu trois putains de propriétaires en trois semaines », a déclaré Peter Fisher, un mineur de cuivre de Cobar, dans l’extrême ouest de la Nouvelle-Galles du Sud, en décrivant les événements qui l’ont mis soudainement au chômage après une longue carrière. « Nous avons eu un administrateur, un liquidateur et un administrateur judiciaire […].
Une société appelée Ashanti Gold, basée au Ghana et détenue par le gouvernement de ce pays, s’est retrouvée propriétaire de la mine de Cobar. « Ils l’ont tout simplement fermée, putain », a déclaré Fisher.
L’ampleur de la catastrophe est apparue au fur et à mesure que les mineurs racontaient leur histoire. Ashanti avait pris le contrôle de la mine et avait rapidement fermé les portes. Les travailleurs se sont retrouvés avec des arriérés de salaire et sans aucune chance de percevoir les droits accumulés au fil des ans, certains hommes ayant trois décennies d’emploi derrière eux se retrouvant avec plus de cent mille dollars en moins.
Des années de congés de longue durée, de congés accumulés et d’autres droits ont disparu en une seule journée. Peu ou pas d’indemnités de licenciement pour les travailleurs, l’argent ayant déjà été dépensé par l’entreprise.
« Il n’y a pas que les syndicalistes, tout le monde s’est fait avoir, la direction aussi », a déclaré un syndicaliste. Mineurs, direction, entrepreneurs, cheminots, fournisseurs et commerçants : tout le monde à Cobar, une ville qui dépend presque entièrement de la mine de cuivre, est confronté au désastre.
« Nous avons de grosses hypothèques et des petits enfants », a déclaré un autre en regardant le camp temporaire installé sur les pelouses du Parlement, où les enfants jouaient ensemble, profitant de l’aventure.
Les derniers steaks étaient servis sur un barbecue à gaz, un générateur alimentait des lumières et un microphone, des meubles d’extérieur étaient placés en cercle et des sacs de couchage apparaissaient en périphérie.
Les mineurs étaient venus en voiture de Cobar, partis avant l’aube et arrivés en milieu d’après-midi. Quelques hommes politiques sont venus s’adresser à eux, dont le député local, Michael Cobb des Nationals, qui s’est rendu célèbre l’année dernière en affirmant qu’il avait dormi dans sa voiture afin de recevoir une indemnité de déplacement pour la nuit. « Un mineur s’est écrié : « Tu peux nous montrer où camper, hein, Mike ?
Cela aurait pu être le point culminant d’une journée plutôt sérieuse. Alors que les enfants sont emmenés par leurs parents pour dormir dans leurs voitures, le campement s’endort.
C’est alors que Pauline Hanson (politicienne australienne) est arrivée. Alertée par un reportage radio, elle était descendue pour écouter les mineurs. Cheveux roux et jeans bleus, elle se fait remarquer, même dans la pénombre. À mesure que la nouvelle se répand, les mineurs et leurs familles s’agglutinent autour d’elle. Steve Roach, l’organisateur de la manifestation, s’est rendu compte que ce qui avait commencé comme une brève séance d’information se transformait en une réunion publique, avec des commentaires acerbes de toutes parts.
Ils ont traversé la rue pour se rendre au micro, où Steve a fait une introduction tout à fait superflue. « C’est la première femme politique qui vient nous écouter sans prendre rendez-vous », dit-il.
Pauline fait un bref discours avant de répondre aux questions. Au Parlement, elle est écoutée en silence, mais ces mineurs étaient un peu moins retenus.
« Je suis déjà allée jusqu’à Cobar », commence-t-elle, « je sais où se trouve Cobar ».
« C’est à peu près le seul politicien qui le sache ! », s’est écrié l’un d’entre eux.
« En marchant dans les couloirs de cet endroit (indiquant le Parlement derrière elle), je me sens fière d’être une représentante du peuple. D’autres fois, je vois mes collègues et je suis dégoûtée qu’ils aient laissé tomber le peuple. Je n’ai pas les réponses, mais je suis là pour écouter ».
Et c’est ce qu’elle a fait. Tout le monde, semble-t-il, avait des choses à dire, et les mineurs et leurs familles se sont mis à narrer une histoire. C’était la vieille histoire des travailleurs qui se faisaient rouler par les grandes entreprises, et Ashanti était en effet une très grande entreprise, avec un bénéfice de 480 millions de dollars l’année dernière.
« Ils sont en Afrique, pas ici », s’est plaint un mineur. « Comment les atteindre ? Que va faire le gouvernement ? »
« Qu’ils aillent se faire foutre », répond Peter Fisher.
Pauline est d’accord, mais en termes plus polis. Il n’y a pas que les entreprises étrangères qui ont pris le dessus sur les travailleurs australiens — le gouvernement les a également trahis en signant l’Accord multilatéral sur l’investissement, qui concède une partie de la souveraineté en échange d’un climat stable pour les investissements étrangers. Cela fait des mois que Pauline met en garde le gouvernement contre la menace que représente l’AMI, mais ce n’est que récemment que les hommes politiques ont commencé à la prendre au sérieux […].
Pauline a écouté les mineurs. Lorsqu’elle s’éloigne du micro, elle va d’un groupe à l’autre, écoutant ce qu’ils ont à dire. Quelqu’un lui a tendu une tasse de café et elle en a bu quelques gorgées en écoutant les mineurs frustrés expliquer comment on leur avait volé non seulement leur travail, mais aussi leur avenir. Inévitablement, les carnets d’autographes sont sortis, les appareils photo sont apparus et, en peu de temps, elle s’est retrouvée à poser avec presque tout le monde dans le camp.
Les sourires et les rires remplacent les expressions sinistres, une chanteuse extraordinaire, Dominica Singleton, apparaît au micro (« Elle a gagné six prix à Tamworth », explique fièrement sa mère), un mineur costaud prend la main de Pauline et elles dansent sur les pelouses de la Maison du Parlement.
Pendant un certain temps, les problèmes ont été mis de côté et les mineurs ont fait la queue pour danser avec Pauline. « Quel autre politicien ferait cela ? », se demandaient-ils, alors que l’horloge passait minuit.
Je pense que Pauline a gagné quelques cœurs dans ce groupe d’électeurs travaillistes convaincus. Peter Fisher a été impressionné. « Elle dit la putain de vérité.
Peter, Steve, 260 autres travailleurs et de nombreux « créanciers non garantis » espèrent, contre toute attente, qu’ils obtiendront plus qu’un montant symbolique de l’argent qui leur est dû. En effet, il serait tragique que Cobar devienne une autre ville de campagne en déclin, sans magasins, sans marché du logement et sans emplois pour les travailleurs qui le souhaitent.
Et les travailleurs eux-mêmes, des hommes de famille décents et ordinaires, ont été laissés à la dérive, incapables d’offrir à leurs enfants l’avenir qu’ils souhaitaient. C’est une tragédie qui n’est que trop familière de nos jours.
Alors, les politiciens attendront que le camp se disperse, que l’argent s’épuise et que les enfants retournent à l’école, et qu’ils reprendront leurs activités habituelles à l’hôtel du Parlement. Les politiciens savent à quoi s’attendre parce qu’ils ont déjà vu cela auparavant.
Mais Pauline Hanson est différente. Elle a eu un vrai travail, une vraie vie de mère célibataire et de petite entreprise, et elle a le don d’écouter les gens qui en ont assez d’être ignorés. Elle n’oubliera pas les mineurs de cuivre de Cobar, leurs épouses inquiètes, ni les enfants endormis à l’avenir incertain.
L’article original : http://www.gwb.com.au/gwb/news/onenation/canberra/030398.html
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